Il y a longtemps, j'ai fait un rêve : un champ de chemises jaunes au milieu de la campagne. C’était une vision magnifique. Mon regard parcourait cette plaine dorée en glissant d’une chemise à l’autre, en découvrant des rangs de chemises les uns derrière les autres avec un plaisir renouvelé devant ce surprenant paysage plein de beauté.

Les chemises jaunes se soulevaient agitées par un vent léger. Ce mouvement, tel un souffle libérateur, semblait emmener le champ vers un accomplissement, comme lorsque l'orchestre dans un cheminement de sons emmêlés  s'étire et atteint un accord, qui  s'enfle et s'étale dans la plénitude.

                                                Le champ de chemises jaunes

Il serait composé de chemises d'hommes amples, flottantes, elles seraient  de tous les jaunes,  rosés, orangés du plus pâle au plus foncé : jaune ambré, aurore, beurre frais, blé, blond, blondoyant, bouton d'or, jaune canari, caca d'oie, champagne, citron, jaune de chrome , fleur de soufre, impérial, jauni, jaunâtre, jaune de Mars, maïs, miel, mimosa, moutarde, jaune de Naples, nankin, ocre, ocré, ochracé, or, orpiment, paille, poil de chameau, jaune poussin, sable, safran,soufre, topaze, vanille, blond vénitien.

Le premier coup d'oeil verra une plantation de chemises. Les chemises seront alignées à des distances définies, égales. Le champ de chemises aura l'apparence d'un champ agricole planté régulièrement. Les chemises seront disposées à une certaine hauteur du sol pour donner l'idée qu'elles sont sorties de terre comme des plants de maïs. Leurs tiges seront des piquets -des tuteurs en bois - ; les manches plus ou moins longues des chemises compléteront leur corps végétal.

Les chemises jaunes seront de tous les tissus possibles, coton, lin, nylon, soie, tergal, de couturiers ou de prêt à porter, à manches longues, mi-longues ou courtes, avec de préférence une proportion plus forte de manches longues. Le tissu devra être uni et ne pas porter d'inscription visible. Elles offriraient au paysage les âmes de nos morts vêtus d’or.

Les chemises seraient vastes aux manches ouvertes, accueillantes. Bien enfoncées dans la terre brune, elles seraient prêtes à tenir face au vent qui les ferait onduler dans une gamme nuancée. Elles figureraient l'armée déterrée des causes éternelles.

Chaque chemise serait différente, mais elles auraient poussé selon un ordre. Elles se dresseraient petites et grandioses posées dans le paysage comme un îlot.

Elles formeraient le dernier carré planté au milieu de l'immensité.

La part de rêve indestructible.

- en Andalousie, au milieu du mois d’Août

- en France, dans le pays d’Othe à la fin de l’été